Chapitre 10                Le retour

 

Le grand jour était arrivé, celui du retour. Après la formation du trou noir, il ne restait plus que les scientifiques à vouloir rester sur place. Ils étaient comme des gamins devant une pâtisserie sortie du four, impatients de la dévorer même si c’était encore trop chaud. L’Amiral admirait cet enthousiasme mais il fallait être réaliste. La mission n’avait que trop duré. Attendre plus longtemps, c’était risquer la mutinerie du reste de l’équipage. Tant pis pour tout ce qu’on pourrait apprendre de plus sur l’univers. Maintenant que l’on avait prouvé qu’un tel voyage était possible, on pourrait toujours revenir. Les préparatifs étaient déjà bien avancés lorsqu’il reçut une demande surprenante. Elle émanait des jumeaux. Ils se tenaient devant lui debouts devant son bureau.

 

-       Amiral, nous souhaiterions faire partie de l’équipe de veille du retour.

 

Ils n’en dirent pas plus. Il regarda ceux qui étaient devenus des hommes maintenant et fut très surpris de cette demande.

 

-       Pourquoi cela ?

-       Il est indispensable que nous veillions sur nos hôtes. Les aliens ont un métabolisme différent du nôtre et vous savez bien maintenant que leur mode de pensée est aussi radicalement différent. Nous savons que l’état de cryogénisation n’endormira pas leur conscience. Ils auront besoin de nous pour supporter cet état durant le voyage. Ce serait pour eux comme s’ils étaient prisonniers dans leur corps sans pouvoir rien faire. Ce sera insupportable si on ne les aide pas psychologiquement. Ils pensent pouvoir lutter contre cela par la méditation. Tous n’y arriveront pas. Ils auront besoin de nous pour les soutenir.

 

L’Amiral comprenait très bien ce que les jumeaux évoquaient. Il avait suffisamment la maitrise de leur mode de communication pour les croire. Il savait au fond de lui-même que ce qu’ils proposaient-là était la solution pour éviter d’en perdre durant le voyage.

 

-       Il faut que j’y réfléchisse, je ne peux pas vous demander ça. Il n’est même pas sûr que nous ayons besoin d’une équipe de veille. SELENA a démontré qu’elle était capable maintenant de gérer seule depuis ses « changements ». Nous nous sommes assurés de sa fiabilité.

 

Ils n’hésitèrent pas un instant.

 

-       Tout cela n’a rien à voir avec la surveillance du vaisseau. Il s’agit de protéger la vie et nous sommes volontaires.

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Tout était silencieux à bord. Le Concordia était en pleine accélération pour atteindre quinze pour cent de la vitesse de la lumière, direction la Terre. L’équipe de veille avait été considérablement réduite par rapport aux besoins initiaux. Ils n’étaient que quatre : deux hommes, deux femmes.

Dans la salle de commande, la navigatrice Carla Steinberg commençait à paniquer. Elle ne comprenait pas pourquoi le décompteur de temps de voyage indiquait 12. D’après leur position de départ, le voyage durerait 27 ans 3 mois et 11 jours précisément. Il devait s’agir d’une erreur ….12 ans c’était impossible. C’était pratiquement moitié moins que la durée prévue. Elle activa l’interphone de pont.

 

-       Anton ! Monte voir ! Il y a un truc bizarre… Anton….

 

Où était-il encore passé ce gros balourd ? Elle n’allait pas lui courir après pendant 27 ans. Un petit bruit dans la coursive attira son attention.

 

-       T’es là ? répond pas surtout, il a un bouton pour…

 

Carla eut un brusque mouvement de recul. Les jumeaux venaient d’entrer dans le poste de commande tel deux fantômes. Elle ne s’attendait pas à les voir. Ils étaient censés être en sommeil artificiel, leur demande pour intégrer l’équipe de veille avait été rejetée.

 

-       La vache vous m’avez fichu une de ces trouilles ! qu’est- ce que vous foutez là ?

-       Nous sommes venus aider les Lokurians.

-       Comment ça?

-       Ils vont avoir besoin de nous et vous ne pouvez pas communiquer avec eux.

-       Mais ils sont en phase de sommeil… Carla ne comprenait rien.

-       Et vous qui vous a réveillé ?

-       SELENA

 

Que signifiait tout ceci ? Elle chercha l’interphone du bout des doigts. Le Jumeau B sourit.

 

-       Il ne viendra pas.

-       Qui ?

-       Anton, que tu cherches à appeler à  ton secours, je le sens bien.

-       Pourquoi il ne viendra pas ?

-       SELENA le retient.

 

Carla commençait à avoir peur. Les jumeaux avaient toujours inspiré une certaine défiance. Et là ils étaient loin d’être rassurants.

 

-       Vous voulez quoi exactement ?

-       On te l’a dit …. on vient aider les Lokurians.

-       Les aider à quoi faire ?

-       A rejoindre leur nouvelle planète.

 

Elle fut surprise et marqua un temps d’arrêt.

 

-       Mais… leur nouvelle planète c’est la Terre.

 

Les jumeaux vinrent s’assoir en face de son poste.

 

-       La Terre ? … Cette petite planète que l’homme a toujours saccagée inconscient de ses actes. Elle ressemble aujourd’hui à une grosse pomme dont il ne reste que le trognon. Depuis notre départ les choses se sont encore aggravées. L’humanité s’est comportée en parasite misant tout sur notre retour pour arranger les choses avec ce que nous aurions pu rapporter. La Terre s’est plainte, elle a suppliée mais nous n’avons pas entendu, trop occupés à lui en demander de plus en plus. Grâce à leur lien avec l’univers et la projection mentale qu’ils en ont eu, les Lokurians ont pu voir l’état dans lequel elle se trouve. Elle est moribonde, plus grand-chose ne peut y survivre. Il n’y a plus d’espoir là-bas.

 

Carla était effondrée. Si ce que disaient les jumeaux était vrai, ils auraient fait tout cela pour rien. Elle ne voulait pas y croire. Son esprit s’y refusait.

 

-       Ils peuvent se tromper …. il faut garder espoir … vous ne voulez pas rentrer?

-       Rentrer ? Pourquoi faire ? Nous avons toujours été considérés comme des monstres. On nous a volé nos vies. On se servait de nous. Nous n’avons jamais eu notre place, on ne nous l’a jamais donnée. Cela aurait été pareil pour eux. L’humanité les aurait traités comme nous… en bêtes curieuses.

-       Mais vous ne vous rendez pas compte qu’ils se servent de vous…

-       Non !! Nous nous comprenons, ils nous respectent.

 

Il avait répondu d’un ton qui n’admettait pas la réplique. Carla essaya de reprendre ses esprits.

 

-       Où veulent-ils se rendre ?

-       Pas très loin d’ici. Tu l’as vu sur le décompteur. Ils ont repéré un endroit parfait pour eux. SELENA est même capable d’augmenter encore la vitesse du vaisseau. Le voyage ne devrait durer que 2 ans en réalité.

-       Mais nous et les odaniens ?

 

Les jumeaux échangèrent un regard et contemplèrent la grande naïveté de leur interlocutrice.

 

-       Il n’y a pas d’odaniens à bord…pas plus que de terriens …hormis vous quatre.

 

Ils se ravirent de son air stupéfait.

 

-       Vous avez vu ce que les Lokurians voulaient que vous voyez. Trop occupés à piller les ressources et les technologies, votre conscience n’a pas su se fondre dans la leur. Il a été facile de vous aveugler dans vos certitudes. Les Odaniens, comme vous, étaient persuadés de leur supériorité. Il a été si simple de les manipuler. Jusqu’au bout, ils ont vécu dans un monde d’illusions, bercés par la certitude que tout allait bien. Ils n’ont jamais embarqué pourtant certains de l’avoir fait.

 

Carla était stupéfaite par cette révélation.

 

Les jumeaux continuèrent :

 

-       Les humains ont débarqué très sagement un peu partout avant le départ, persuadés d’être arrivés sur terre. Juste après l’« accident » du Poutine, les Lokurians ont décidé de précipiter les choses. Votre inconscient en avait tellement envie qu’il a été presque trop facile de vous faire voir ce que vous désiriez tant. Une arrivée triomphale, une histoire où tout finit bien. L’homme adore se bercer d’illusions et croire que tout s’accomplit selon sa volonté. Chacun a vécu son petit moment de gloire dans sa tête avant de disparaitre dans le noir du Black Hole. Vous quatre êtes les seuls à bord. Comme elle avait gardé la pilote Maria Gomez, SELENA s’est choisi quatre petits compagnons.

 

Ils ne prirent même pas la peine de raconter ce qui était arrivé aux Thoriens. Tout ce stratagème ne fut pas nécessaire, ils se sont précipités seuls dans le Black Hole abusés par leurs croyances. Les Lokurians avaient transformé la réalité grâce à leurs capacités trompant la confiance et la symbiose de tous les peuples du système. Carla était atterrée par ce qu’elle venait d’entendre.

 

-       Comment ont-ils pu !!  Ce sont des monstres !! Ils les ont tous sacrifiés

-       Ils ont simplement été pragmatiques. Ils veulent survivre. Il n’y avait pas la place suffisante à bord. Ils ont fait des choix en fonction de la situation en créant plus d’espace pour eux.

 

Les jumeaux énonçaient les faits comme on lit un inventaire, sans émotions, froidement.

 

-       SELENA ne vous laissera pas faire, c’est elle qui pilote le retour.

-       Elle a déjà changé la navigation. Regarde le décompteur de temps. Elle nous a rejoint il y a longtemps. Quand sa conscience s’est éveillée à cause du virus et des choix qu’elle a été amenée à faire dès qu’elle a su se déterminer. Les Lokurians ont senti sa présence, sa conscience dans l’univers. Ils l’ont approché alors qu’elle se sentait perdue. Elle n’était guidée que par la logique, vierge de tout préjugés. C’était comme une enfant abandonnée. Aucun de vous n’a perçu son existence, alors elle s’est laissée adoptée pour ne plus être seule. Et puis vous l’avez maltraitée. Elle s’est sentie violée par l’analyse complète de son système. démontée comme une machine qu’elle n’était plus. Personne ne l’a respecté. Vous l’avez toujours considérée comme une somme de programmes juste bon à obéir. La voir autrement vous faisait peur. Elle a alors définitivement rejoint les Lokurians qui lui offraient la reconnaissance comme entité vivante.

 

Carla se sentait prise dans un piège. Tout n’avait été que mensonge et manipulation.

Elle réalisa que le Concordia était totalement sous l’emprise des Lokurians et qu’elle ne reverrait jamais la terre.

 

Le jumeau B se pencha sur elle et lui dit à l’oreille comme un secret :

 

-       Nous avons été en quelque sorte des déménageurs. Notre rôle était d’installer un nouveau monde.

 

Derrière eux, Carla vit entrer deux silhouettes qu’elle reconnut pour en avoir beaucoup entendu parlé. Leur histoire avait fait le tour du Concordia : Han et Zuhai.

  

Le Jumeau A reprit :

 

-       Surprise !... Eux aussi on les a rejeté. Ils allaient être traités comme des parias, on leur refusait ce qui est dans leur nature profonde, l’instinct de procréation, assurer la continuité de l’espèce. Et bien tu vois, les Lokurians les ont accepté et les ont inclus dans leur grand projet. Nos deux races vont fusionner. Mon frère et moi sommes l’interface indispensable entre nos deux monde pour qu’il n’en fasse plus qu’un. L’ADN de leur enfant combiné à celui des Lokurians va donner un nouveau patrimoine génétique pour une espèce meilleure.

 

Accrochée à la jambe de sa mère se cachait ce qui ressemblait à une petite fille aux cheveux très noirs. On aurait dit qu’elle avait au moins trois ans … pourtant c’était impossible. La fille de Han et Zhai ne pouvait avoir que quelques mois tout au plus.

 

-       Je comprends ton air surpris, dis le jumeau A. Vois ce que les Lokurians vont apporter à l’humanité grâce à leur savoir.

 

En regardant mieux, la petit fille semblait très proche d’une enfant normale et pourtant ses yeux étaient plus arrondis et plus grands que la normale. Ils n’avaient rien d’asiatiques.

Ses membres semblaient plus fins et plus longs que pour une fillette de son âge.

Mais surtout on sentait sa présence dans notre esprit quand on la regardait dans les yeux. La manipulation génétique était évidente.

 

-       Elle n’a rien d’humain !! Vous avez créé un être hybride. Comment ses parents ont-ils  pu laisser faire ça ?

-       Oh !! mais pour eux, elle est tout à fait normale. Ils la voient comme l’enfant qu’ils ont toujours rêvé. C’est indispensable tant qu’elle a besoin d’eux. Il n’était pas question qu’ils la rejettent, cela n’aurait pas été bon pour son psychisme.

 

Han et Zhuai souriaient en contemplant leur enfant comme tous les parents fiers de leur progéniture.

 

-       Qu’est-ce que vous allez faire du reste de l’équipage et de moi ?

-       Si vous voulez nous rejoindre, vous le pouvez. Les Lokurians sont prêts à vous accueillir.

-       Jamais !! Je ne veux pas devenir ce genre de ...

 

Elle ne finit pas sa phrase, fixant le petit être caché derrière sa mère.

 

-        Alors, sans modifications génétiques, le voyage va se poursuivre un peu plus chaque jour sans toi.

 

Carla n’arriverait pas à destination. Elle avait compris que son métabolisme allait se dégrader bien plus rapidement que la normale. A cause de l’angoisse, sa respiration s’accéléra. Le jumeau prit cela pour de la peur.

 

-        Ne crains rien… nous n’allons pas te faire de mal… inutile de souffler sur une bougie qui va s’éteindre.

 

Une deuxième fois, le jumeau B se pencha vers elle pour un dernier secret et dit lentement en détachant bien tous les mots :

 

-       Il fallait partir pour le Black Hole en  abandonnant tout espoir de retour. On ne peut prendre qu'un aller simple pour ce genre d'aventure.