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Chapitre 9                 Tatiana

 

La Lumière rouge assombrissait tout. C’est l’éclairage des situations critiques et celle-ci l’était. Dans cette ambiance, on sait qu’il y a danger et que tout peut aller très vite. Tatiana faisait face à quatre des techniciens de la propulsion. Ils la regardaient inquiets et se demandaient ce qui allait se passer. Il n’y avait entre elle et eux qu’un petit pupitre de commandes. Tout le monde se tenait là immobile. Tatiana avait la main sur la clé d’arrêt d’urgence des refroidisseurs. Un petit quart de tour et tout le vaisseau se désintégrait. Voilà pourquoi personne ne bougeait.

 

-       Ecoute je ne sais pas ce qui te prend… rend moi cette clé et ça en restera là.

 

Constantin était le 1er officier de quart et c’est à lui qu’elle l’avait dérobé. Elle était entrée dans le poste comme une furie et lui avait arraché sa clé de commande qu’il portait toujours autour du cou. Puis, d’un geste précis et rapide, elle l’avait engagée dans la console. Pris par surprise, il n’avait pas eu le temps de réagir. Il était bien trop occupé à essayer de comprendre pourquoi la pression du refroidisseur du plasma était à son maximum. L’interphone se mit à crachoter et on entendit une voix paniquée :

 

-       Constantin !! Arrive au triple galop !! Quelqu’un a cassé la vanne de transfert. C’est bloqué… ça va chauffer à mort !!

 

Les quatre hommes fixèrent Tatiana. Ils venaient de comprendre pourquoi la sécurité avait basculé en urgence sur la lumière rouge. Constantin se risqua à demander :

 

-       C’est toi qui a cassé la vanne ?...

 

Elle ne répondit pas, ses yeux étaient un peu brumeux et dans le vague. Des larmes coulaient sur ses joues.

 

-       Je sais que ça va pas fort en ce moment. On en a tous assez. Mais là ça y est… on rentre à la maison.

 

Il esquissa un pas en avant.

 

-       Tout va bien. Donne-moi la clé.

 

Elle se mit à hurler

 

-       Tu sais rien du tout !! Non tout va pas bien !

 

Il recula aussitôt. Elle se mit à sangloter nerveusement.

 

-       Calme toi … dis-moi ce qu’il se passe ?

 

A travers un sanglot, elle finit par dire :

 

-       J’ai fait un truc horrible. C’est pas ma faute, ils m’ont obligé à cause de ma fille.

 

Les regards des techniciens du poste se croisèrent incrédules. On n’était pas censé avoir des enfants quand on embarquait pour le Black Hole. Ça aurait été comme abandonner sa famille. Le protocole de recrutement l’interdisait. Tatiana semblait en pleine crise de nerf.

 

-       T’as une fille ? Justement, tu vas la retrouver… on rentre, fais pas de bêtises, calme toi.

 

Elle cria à nouveau à la limite de l’hystérie :

 

-       On peut pas rentrer !! J’ai conditionné des échantillons de virus sur le vaisseau. Des vraies merdes. Ils veulent ça pour contrôler le monde à notre retour. Ces malades vont tous nous tuer !!

 

La tension venait de monter d’un cran. Un des techniciens se dirigea à reculons jusqu’au sas du poste et disparut dans le corridor.

 

-       Ca va s’arranger… tu sais où ils sont… on va les récupérer et foutre ces saloperies par-dessus bord. T’as raison, on peut pas revenir avec ça.  Rend moi la clé et on y va.

 

Il lui tendit la main doucement en souriant. Tatiana le regarda droit dans les yeux. Elle connaissait bien Constantin, c’était un gars réglo et elle pouvait lui faire confiance. Oui on allait le faire … tout balancer. Elle allait le suivre et tout s’arrangerait. On mettra ça sur le compte de l’équipe de décontamination. Ils les auront trouvés et s’en seront débarrassé. Ce ne sera pas de sa faute, alors ils ne feront rien à sa fille. Elle sera surement punie mais peu importe, elle ne peut pas faire ça. Elle se calma un peu et lui sourit. Tout allait s’arranger. Constantin commença à contourner la console mais dans son dos, dans l’encadrement du sas, elle aperçut la silhouette de l’officier de sécurité chargé de la surveiller. Elle comprit que ça ne se passerait pas comme ça. Elle regarda Constantin… ferma les yeux et murmura :

 

-       Pardonne-moi.

 

La clé fit un quart de tour dans la console de commande.

                                                                                          _________

 

Vu de la passerelle du Concordia, le « Poutine » sembla s’écraser sur lui-même, il se mit à briller avant de faire voler à travers l’espace une foule de débris. L’officier de quart cria :

 

-       Alerte collision !! Préparez-vous à un impact ! Activez la protection ionique !

 

Si de gros débris venaient à percuter le Concordia, la protection ionique serait parfaitement inefficace. On n’arrêtait pas la matière avec une protection contre le rayonnement. Au moins,  il serait protégé des radiations des restes du moteur à fusion détruit. Le « Poutine » n’était pas très loin. Il était sur sa trajectoire de retour tout comme eux. C’était le dernier vaisseau à quitter la zone du Black Hole. Le Concordia devait le suivre de près. Ils auraient dû faire le chemin de retour ensemble. L’Amiral arriva sur la passerelle presque en courant.

 

-       Votre rapport !

-       Le « Poutine » vient d’imploser à l’instant Monsieur. Les premiers débris devraient nous arriver dessus d’ici une dizaine de secondes.

-       Rappelez les équipes de réserve … éloignez nous de la zone.

-       A vos ordres, Amiral.

 

Il se tourna vers le deuxième officier de pont :

​

-       Monsieur Chen, après l’alerte réunissez les commandants dans la salle A. Nous démarrons la procédure de départ immédiatement.

 

Karl Offner était pragmatique, il n’y aurait aucun survivant à l’implosion du  « Poutine ». Ceux qui par miracle auraient pu survivre ont été tués par les radiations. Mieux ne valait pas trop s’attarder. Pas le temps non plus de trouver la cause de ce drame. Ici on ne menait pas d’enquête sur les accidents. La disparition du « Poutine » resterait un mystère.

 

... La première navette de liaison venait d’atterrir. Ils étaient accueillis comme des héros … la presse … la télé, tous les médias étaient là. On ne parlait que d’eux. Chacun les pressait de raconter leur voyage, ils avaient surement des milliers d’histoires à partager. Les gens dehors pointaient le ciel du doigt désignant les vaisseaux. Le « Poutine » brillait plus que les autres. Il y avait une telle effervescence qu’on ne savait plus où donner de la tête. Les nouvelles technologies, les nouveaux minerais, tout cela ouvrait tellement de possibilités. La pilote Maria Gomez était célébrée plus que les autres. C’était une héroïne qui avait rendu possible l’expédition. La tête lui tournait, elle était sollicitée de toute part. Dans la foule, elle aperçut son amie Tatiana qui lui fit un signe de la main. Elle serrait sa petite fille dans ses bras, son visage rayonnait de bonheur. Au coin de sa maison, Maria reconnut son vieux chien qui courut vers elle en aboyant trop content de la revoir. Elle entra dans son jardin et constata que les tomates étaient bien mûres comme elle les aimait. Le linge sur la longue corde du jardin était presque sec. Elle préférait quand le vent s’occupait de le sécher, il était plus souple. Sur le trottoir d’en face, l’Amiral remontait la rue en sifflotant. Il rentrait chez lui. C’était vraiment une belle journée …

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