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Chapitre 7        SELENA

 

Le système d’intelligence artificielle le plus sophistiqué que l’homme ai jamais conçu avait failli à une partie de sa tâche. Cette défaillance aurait pu aboutir à la destruction pure et simple du Concordia. Le récit de la pilote Maria Gomez à ce sujet faisait froid dans le dos. Elle était la seule survivante de cet épisode tragique qui avait vu disparaitre la quasi-totalité de l’équipage de veille. Progressivement, l’équipe d’informaticiens avait diminué une partie de  l’activité de l’IA et réduit son emprise sur le vaisseau. Nombre de taches avait été reprises manuellement par l’équipage. Il était malheureusement impossible de totalement la déconnecter. La régulation des moteurs et du système de maintien des conditions de vie à bord dépendait complètement d’elle. L’analyse de comportement qu’était en train d’effectuer les informaticiens se faisait donc avec une SELENA en fonctionnement. Très rapidement, ils avaient détecté des anomalies et plus encore, des bouts de programme, inexistants à l’origine de sa création. Cela ressemblait bien à ce que Maria avait décrit comme une sorte d’apprentissage.

 

-       Vous comprenez ce que signifie cette séquence ? demanda le responsable

-       Pas vraiment. C’est très diffèrent de ce qui est programmé d’habitude. Normalement on traduit une pensée humaine en langage machine pour la faire agir. Si SELENA s’est auto programmée, il n’y a pas de raison qu’elle agisse de même et donc c’est du langage machine pur. Impossible pour nous de le traduire en langage humain sans connaitre le but de cette programmation.

-       Qu’est-ce qu’on peut faire ?

-       Il faudrait le copier et le tester sur un système annexe pour voir ce qu’il produit.

-       Si c’est possible, faites-le.

-       Il va falloir couper SELENA pour ça. Ce programme est en interaction avec d’autres et on risque de copier des parties de séquence qui n’ont rien à y faire.

 

Le responsable soupira profondément.

​

-       Je vais voir si c’est possible. Il faudra préparer l’équipage et voir si les moteurs redémarreront après la coupure de la gestion informatique. Il faudra combien de temps pour le copier ?

-       Environ deux minutes.

 

​

On allait couper SELENA, la décision avait été prise. Tout l’équipage se tenait prêt, Tatiana plus que les autres. Elle avait deux minutes pour accéder à l’espace sécurisé du stockage des contaminants en étude. Il fallait comprendre par-là les virus inconnus ou dangereux qu’on avait pu détecter à la décontamination du minerai réceptionné. Elle avait repéré ce qu’il lui fallait. Deux petites fioles qu’elle avait elle-même répertorié. La coupure de SELENA lui permettrait de passer les contrôles sans être inquiétée et sans laisser de traces. Son pass allait lui donner accès à tout. C’était sa seule occasion, elle serait transférée sur le « Poutine » demain et l’officier de sécurité qui la surveillait lui avait fait comprendre qu’elle ne devait pas rater cette chance. Le haut-parleur annonça : « coupure dans dix secondes ! ». La visière du casque de sa combinaison de survie lui masquait une grande partie du visage. Elle pouvait croiser n’importe qui sans risque d’être reconnue. Tatiana se tenait devant le premier sas de sécurité prête à passer sa carte dans le lecteur. Le haut-parleur annonça le début de la coupure de SELENA et rappela les règles de sécurité. Son badge glissa dans la fente du lecteur, la porte se déverrouilla.

 

​

Une fois l’IA remise en service, les ingénieurs se sont vite mis au travail. La copie du programme réalisé pendant la coupure ne montrait rien de très particulier à l’analyse, hormis une tendance à déverrouiller ou inhiber les protocoles de sécurité et de surveillance ce qui n’était déjà pas si mal.

 

-       Alors c’est quoi ce truc ?

-       Je crois que ça va te décevoir, mais ça n’a pas été écrit par SELENA. Il s’agit plus de l’évolution d’un virus qui a généré ces lignes de code. L’IA autonome ce n’est pas pour aujourd’hui ni pour demain.

-       Un virus ! Tout a été vérifié et revérifié avant le départ. T’es sûr ?

-       Absolument ! Je peux même te dire que ça a été implanté à bord. Tu vois ces chiffres ? C’est l’adresse du serveur central de SELENA. Celui qui a fait ça est un pro et un bon. Il n’y a pas une ligne ou une commande de trop.

-       Il sert à quoi ?

-       Difficile à dire. Mais vu où on l’a trouvé et vu que sa fonction est de faire que les choses foirent, je dirai qu’on en veut à nos petits copains aliens.

-       Explique-toi.

-       Ca polluait une ligne directe du gestionnaire de maintien des systèmes vitaux en cryogénie. Celui relié aux quartiers aliens. Si ça avait continué d’évoluer, nos invités ne se seraient pas réveillés à l’arrivée.

-       Pourquoi on arrivait pas à la lire avant ?

-       C’était crypté. A la défragmentation du programme, le cryptage a sauté. Je pense même savoir de quel code il s’agit … Celui de l'alliance de l’Aube pure.

 

L’alliance de l'Aube pure est un mouvement extrémiste qui s’est créé suite à l’annonce de vies extraterrestres près du Black Hole et de la volonté de leur porter secours. Le racisme le plus primaire est remonté à la surface dans toutes les nations de la terre. Ce mouvement compte un grand nombre d’adhérents et même de fanatiques. Leur slogan : « la terre aux terriens ». Pas très original. On y trouve maintenant réunis tous ceux qui ne savaient pas vivre ensemble il y  a peu. Tous unis contre ces nouveaux immigrés qui viennent voler la terre.

-       Cette bande de racistes ? Mais si c’est le cas, pourquoi SELENA s’en est pris aux membres de l’équipe de veille ?

-       Sûrement parce qu’elle n’était pas prévue au début du voyage. Le virus informatique s’est déclenché trop tôt et il a éliminé tout ce qui n’était pas conforme. L’équipage devait être en sommeil et eux étaient actifs.

-       Pourquoi la pilote a été épargnée dans ce cas?

 

L’informaticien réfléchit un moment.

 

-       Une analyse plus poussée de la mémoire nous le dira peut-être. J’en suis à croire que SELENA l’a défendu. Elle a lutté contre le virus, ce qui expliquerait que Maria ai pu terminer le voyage. SELENA a peut-être évolué en fin de compte.

-       Est-ce que SELENA est fiable ? On va pouvoir continuer sans problème ?

-       Il va falloir finir de « désinfecter » ses codes d’instruction et je pense que nous ne risquerons plus rien. Enfin nous mais j’en suis moins sûr pour nos hôtes aliens.

 

​

Dans la coursive, l’officier de sécurité agrippa le bras de Tatiana et la mena à l’écart.

-       Alors tu as réussi ?

-       Lâche-moi ! C’est fait !

-       Donne-les-moi !

-       Pas question !... Tu ne sais pas comment les manipuler. Tu vas tous nous tuer, je les garde !

 

L’idée de prendre avec lui ces fioles ne l’enchantait pas. Dieu seul sait quelles saloperies Tatiana avait sélectionné.

​

-       Alors planque ça bien, et rappelle-toi que j’ai toujours un œil sur toi.

 

Il lui lâcha le bras et disparut en direction des quartiers d’équipage. Tatiana mit sa main le long de sa cuisse pour sentir la présence des fioles dans sa poche latérale. Elle resta ainsi un moment perdue dans ses pensées. Elle réalisa soudain ce qu’elle avait fait. Il était trop tard pour faire marche arrière. Le remord commençait à l’accabler. Elle devait trouver une solution.

 

​

Dans la cale des véhicules était stationné un grand nombre de petites navettes. C’était l’endroit idéal pour un rendez-vous sans être dérangé. Personne n’y venait jamais.

Derrière l’une d’elle, deux hommes discutaient à voix basse.

 

-       Sergeï, ils sont en train de « Nettoyer » SELENA. On peut pas les laisser faire, sinon c’est fichu !

-       On peut rien faire. Le programmeur est mort. Il faisait partie de l’équipe de veille.

-       Pourquoi cet abruti l’a implanté si tôt ?

-       Il a dû penser que si jamais il lui arrivait quelque chose, au moins c’était fait.

-       Maintenant on va devoir tout faire nous-même.

 

Discrètement une des caméras de surveillance venait de faire un quart de tour dans leur direction. L’œil noir de l’objectif les observait et effectua un petit zoom  avant.

 

-       On va commencer par le quartier ouest. J’ai déjà bidouillé les accroches des structures d’accueil de ces bâtards de Lokurians. Tu places des petites charges où je te dis et c’est quand on veut pour les larguer dans l’espace au changement d’orbite, et là pas moyen de les récupérer. Bye bye !

 

Ils se mirent à rire à la perspective de la zone d’habitation à la dérive dans l’espace. Soudain derrière eux, le petit sas pour les sorties de maintenance à l’extérieur s’ouvrit.

 

-       C’est quoi ça ? Il s’est ouvert tout seul ?

-       Je sais pas, il faut qu’on aille voir sinon on va se faire engueuler.

 

Les deux hommes entrèrent à l’intérieur pour vérifier la commande d’ouverture et le circuit du panneau automatique. A peine avaient-ils franchi la porte que le sas se referma. Sergeï appuya plusieurs fois sur le bouton d’ouverture mais rien ne se produisit.

 

-       C’est quoi ce délire ?

 

La camera interne du sas s’activa. La voix synthétique monotone de SELENA emplit le petit espace.

 

-       Vous n’êtes plus autorisés à avoir une activité sur le vaisseau. Vous allez être gardés ici en confinement.

 

Sergeï rugit.

 

-       T’as pas le droit de nous garder ici. Ouvre cette bon dieu de porte !

 

Il frappa par trois fois sur le hublot. La voix calme de l’IA répondit :

 

-       Vous représentez une menace pour la mission. Je préviens la sécurité.

-       Ouvre cette porte sale pute ! Sinon on racontera à la sécurité comment t’as réveillé les jumeaux… eh oui, on est au courant… et ils vont te désactiver pour ça. Ouvre connasse ! Laisse nous rentrer dans le hangar.

 

Le silence se fit un court instant

 

-       Je vous ouvre.

 

Derrière eux ils entendirent le bruit de la décompression de la porte extérieure. Les deux hommes se regardèrent. Elle n’allait pas faire ça ! L’air commença à fuiter rapidement et la température chuta tout aussi brutalement. Lorsque le sas s’ouvrit sur le vide sidéral en un instant les deux hommes furent congelés. Leurs corps commencèrent à dériver doucement vers l’extérieur du vaisseau. Une fois dehors, SELENA referma le sas et rétablit la pression comme s’il ne c’était jamais rien passé.

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