top of page

Chapitre 2                Le réveil

 

Karl Offner avait un terrible mal de crane et ne sentait plus son bras droit. L’électrostimulation préparatoire avait été insuffisante. Il était complètement engourdi et avait du mal à concentrer ses pensées. Il était assis mais la somnolence le gagnait continuellement… il manquait de tomber à chaque instant. Son corps avait en mémoire les longues années de léthargie.

​

-       Ça m’a pris trois jours Amiral pour m’en remettre. Prenez bien vos comprimés toutes les 2 heures, ça va vous aider. Vous pourrez bénéficier de quelques séances d’électrostimulation supplémentaires pour votre bras.

​

L’infirmier Erik Gartner avait procédé au réveil de l’Amiral il y a 5 heures et il était passé voir si tout allait bien.   

​

-       Attendez Erik ! Dites-moi où nous en sommes. Ich will wissen.

​

Ça lui faisait du bien de parler sa langue natale après toutes ces années. 

​

-       Vous avez tout le temps … Récupérez … Tout est sous contrôle.

-       J’ai eu tout le temps de me reposer ... Faites moi un rapport sur la situation.

​

Erik n’était pas habitué à ce genre d’exercice.

​

-       Qu’est ce que vous voulez savoir ?

-       Où sommes nous ? Avons-nous atteint Loki ?

​

Loki était la première planète du système que le Concordia devait approcher. Cette étape était cruciale pour la suite de l’expédition.

​

-       Oui Amiral, avec une dérive un peu plus importante que prévue mais nous devrions entrer en orbite d’ici un jour ou deux.

-       Les jumeaux sont réveillés ?

-       Oui.

-       Et le reste de l’équipage ?

-       Pratiquement en totalité. Nous n’avons eu qu’un seul décès.

-       Qui ?

-       Je ne sais pas, ce n’était pas dans mon secteur.

-       Et l’équipage de veille combien ont survécu ?

-       Il ne reste que la pilote Maria Gomez.

​

L’Amiral se raidit à l’annonce de la nouvelle. Une seule survivante, c’était bien moins que ce qui était attendu. Le Programme de soutien de SELENA a été plus qu’un échec, c’est un fiasco complet.

​

-       Comment va-t-elle ?

-       Pas trop mal compte tenu des circonstances.

-       On sait ce qu’il s’est passé ?

-       Apparemment il y a eu… des conflits dirons nous… et ils se sont résolus de façon violente. La morgue est presque pleine. On a aussi retrouvé quelques corps dans différents endroits isolés, totalement décomposés, apparemment des suicides.

Cette annonce consterna l’Amiral. Il réalisa soudain combien cela avait dû être difficile pour elle.

​

-       Elle est seule depuis combien de temps ?

-       Je dirais … vingt-cinq ans.

​

Un miracle que le Concordia existe encore. Comment avait elle pu tenir !!

​

-       Je veux la voir, faites la venir !!

-       Je vous l’envoie, mais n’abusez pas, vous êtes encore faible.

-       Vous m’enverrai les jumeaux après.

-       Amiral…

-       Exécution !

 

Maria Gomez se présenta dans ses quartiers dix minutes plus tard. Il la reconnut difficilement. Elle avait beaucoup changé. Son visage était marqué par les épreuves et le temps. Elle avait vieilli et approchait les soixante ans maintenant.

​

-       Entrez … Asseyez-vous. Merci de nous avoir amené ici ... merci Maria.

​

Elle le regarda amusée.

​

-       On a le même âge maintenant Amiral. C’est étrange, vous n’avez pas vieilli.

-       A quelque chose près je pense, oui. J’ai quand même pris quatre ans de plus en cryogénisation. Comment vous sentez vous ? J’ai besoin de vous poser quelques questions, ça ira ?

​

Maria ne répondit pas, elle semblait attendre les questions.

​

-       On m’a dit que vous étiez restée seule pendant presque vingt-cinq ans. Comment avez-vous pu amener le Concordia jusqu’ici ?

-       Je n’étais pas seule, il y avait SELENA. Elle m’a tenu compagnie ou peut être bien l’inverse et puis elle a appris… beaucoup appris.

-       Comment ça elle a appris ?

-       Elle a observé l’équipage pendant presque quatre années entières avant qu’ils ne s’entretuent. Elle a intégré des séquences spécifiques à l’équipage et les a incorporé à ses protocoles. Elle est devenue autonome en bien des points. C’est elle qui a géré la phase de décélération. J’en étais bien incapable seule.

-       Vous êtes sûr ?...c’est techniquement impossible.

-       Pourtant c’est arrivé. Elle est même allée plus loin. Je pense que dans sa façon de concevoir les séquences de programmation, elle a aussi intégré une certaine forme de pensée.

-       -       Une forme de pensée ?…comme une conscience ?

-       Quelque chose dans le genre. Ce qui me fait peur c’est qu’elle s’est mis à tout diriger. Je ne servais plus à rien. Elle voulait tout contrôler. J’étais juste là, à regarder, même pour les jumeaux.

-       Quoi les jumeaux ?

-       Ils étaient réveillés avant tout le monde. C’est la procédure de sécurité d’urgence qui les a réanimés.

-       C’est une procédure manuelle. Vous l’avez activée ?

-       Justement non.

​

Maria sembla décrocher brusquement de la conversation. Après toutes ces années de solitude, l’agitation du réveil de l’équipage la stressait énormément. Elle ne pouvait pas soutenir son attention si longtemps. Elle avait besoin d’un moment de calme. L’amiral s’en aperçut et il n’avait d’autre choix que de reporter leur entretien. D’autant qu’il voulait savoir ce qui était arrivé à l’équipe de veille et que ce récit serait surement pénible.

​

-       Nous reprendrons plus tard. Je dois précisément voir les jumeaux.

​

Un officier de sécurité surgit dans l’encadrement de la porte.

​

-       Amiral, nous avons un problème qui requiert votre présence à l’infirmerie.

-       Restez ici Maria. Je reviens.

​

Il était encore chancelant et avait du mal à suivre l’officier. L’infirmerie lui parut être à des kilomètres. Sur la table d’examen, il reconnut tout de suite l’un des jumeaux qui semblait convulser en proie à la panique. Son frère se tenait non loin de lui et pleurait.

​

-       Que se passe-t-il ?

Le médecin principal prit l'Amiral légèrement à part.

-       Je crois que ça a commencé, mais c’est trop violent.

 

​

Maria n’avait pas attendu l’amiral. Elle errait comme depuis des années dans le corridor central. Elle fixait la poutrelle au plafond. Un jeune technicien la croisa, les bras chargés de matériel informatique.

-       C’est là qu’il s’est pendu.

-       Je vous demande pardon ?

-       Elle n’a rien fait pour l’en empêcher. Elle a bloqué son programme de soutien.

-       Qui ça ?

-       SELENA.

-       Vous allez bien ? Vous voulez que je vous accompagne à l’infirmerie ?

-       Elle les a tous montés les uns contre les autres. Elle a organisé ce qui est arrivé. Elle a voulu tout contrôler dès qu’elle a appris, alors elle les a éliminé.

-       Vous parlez de ce qui est arrivé à l’équipe de veille ?

-       Elle n’a gardé que moi.

-       Comment elle n’a gardé que vous ?

-       Elle a eu peur d’être seule.

 

​

Les jumeaux

 

Dans le petit local de stockage, les principaux officiers et responsables techniques attendaient l’Amiral. On n’avait pas de place pour des salles de réunion sur le Concordia. L’espace était réservé à d’autres besoins et activités. Alors les réunions, on faisait ça où on pouvait. L’amiral entra avec le premier commandant, ils étaient au complet.

​

-       Bien, je vous ai réuni pour vous annoncer que nous allons entamer l’une des phases les plus importantes de notre mission. Vous connaissez tous les Jumeaux. Ils sont en phase alpha depuis notre approche de Loki. Aussi, je vous demanderai la plus grande discrétion envers l’équipage. Il n’est pas encore temps pour eux de savoir. Nous avons beaucoup de travail technique de remise en œuvre du Concordia après sa longue période de sommeil. Inutile qu’ils aient l’esprit ailleurs pour le moment. Voici donc comment nous allons nous organiser…

 

Le responsable logistique du pont B et son adjoint s’éloignèrent de la porte du local de stockage. Ils avaient senti que quelque chose d’important se tramait en voyant tout ce petit monde se regrouper là-dedans. C’était pas bien d’écouter aux portes. Valait mieux ne pas se faire prendre.

​

-       La vache ! C’est arrivé !

-       Quoi ?

-       Tu connais pas les jumeaux ?

-       Non.

-       Sérieux ?

​

A son air il voyait bien qu’il n’était pas au courant.

​

-       Tout le monde connait les jumeaux. C’est eux qui ont aidé à déchiffrer les messages qui nous sont parvenus d’ici depuis des années. Ils sont notre contact avec eux.

-       Comment ça notre contact ?

-       Ce sont des espèces de medium ou de télépathe je sais pas trop. Ils lisent dans les pensées ou un truc dans le genre. Loki est une des planètes avec une forme de vie intelligente. On ne sait pas grand-chose sur ses habitants, mais ce dont on est sûr c’est qu’ils n’ont pas un langage comme le notre. Il y a pas de mots ni de phrases. C’est des concepts leur langage. Et surtout, ils parlent pas. Apparemment ils sont pas équipé pour. C’est dans ta tête qu’ils parlent. Il y aurait une espèce de langage universel dans le secteur qui ferait que tous les peuples du coin se comprennent.

-       C’est quoi eux alors, des espèces de traducteurs, des interprètes ?

-       Ouais, on dirait bien et visiblement ils ont déjà commencé la parlotte.

​

L’adjoint hésita un instant.

​

-       En tout cas ça a pas l’air de super bien se passer.

-       Pourquoi tu dis ça ?

-       Il y en a un à l’infirmerie tétanisé et l’autre en dépression.

-       Comment tu le sais ?

-       C’est un gars qui a eu un réveil compliqué qui me l’a dit. Il était à l’infirmerie en observation et il a été viré pour faire de la place aux deux gamins. Il voulait qu’en tant que délégué je porte plainte pour lui.

-       Et merde ! Si on n’arrive pas à communiquer, pas moyen qu’on mette les pieds sur Loki sans que ça se passe mal… ni ailleurs en fait, on peut dire adieu à nos primes de chargement.

 

La réunion se terminait, il commençait à faire chaud dans le local de stockage. L’Amiral conclut.

​

-       Et donc, d’après les médecins, la charge mentale a été trop forte pour les jumeaux. L’un d’eux est dans un état cataleptique et l'autre culpabilise et déprime. En attendant qu’ils aillent mieux la communication est rompue. Quoiqu’il en soit, les Lokurians sont au courant de notre présence. C’est probablement le cas pour l’ensemble des peuples du système. Alors nous allons nous positionner au point de rendez-vous comme prévu pour attendre les autres vaisseaux et équipages. Donnez les instructions nécessaires.

bottom of page